Le Muda de Process, qu'es aquò ? (3/5)
La surqualité
Lors d’une intervention chez un fabricant de cathéters, j’ai été confronté à une situation pour le moins paradoxale.
Le personnel de cette entreprise était très sensible au bien-être du patient (en oubliant parfois un peu celui du corps médical, leur premier client) et très fier de me dire :
“Chez nous, on fait la Rolls du cathéter”
Sans entrer dans le détail, un cathéter est un tube plastique multi canaux qui est placé dans une veine ou une artère pour injecter des liquides (médicaments) dans le sang d’un patient.
Pour cette opération, une aiguille à cathéter est enfoncée dans la veine du patient. Le cathéter est ensuite introduit dans la veine par le biais de cette aiguille.
Cette entreprise fabrique l’aiguille, puis le cathéter avant de conditionner le tout prêt à l’emploi pour le bloc opératoire.
L’aiguille est constituée d’une canule (petit tube métallique biseauté à une extrémité) sur laquelle est surmoulée une embase en plastique. L’opération de surmoulage se faisant sur une petite presse à injecter.
Qualité, surqualité ou tout simplement Muda
Après avoir sensibilisé le responsable de fabrication aux 7 Gaspillages, nous sommes allés « chasser le Muda » sur le terrain/le Gemba (très bon exercice pour une prise de conscience).
Nous étions en train d’observer une opération de conditionnement et nous énumérions tous les gaspillages aperçus lorsqu’un « détail » attira particulièrement notre attention.
Une opératrice employait un outil fait maison (foret de ø4 enrubanné de scotch à son extrémité) pour chaque aiguille. Voyant que ses trois autres collègues ne faisaient pas cette opération supplémentaire pour le même travail de conditionnement, nous lui avons demandé de nous expliquer son geste.
En fait, elle se servait du foret pour ébavurer l’embase en plastique à l’extrémité de la canule. En effet, il arrivait parfois qu’une bavure se crée lors de la phase d’injection, empêchant ainsi le cathéter de coulisser facilement dans l’aiguille. Alors, dans le doute, “au cas où”, elle préférait répéter cette action systématiquement; “après tout, ça mange pas de pain” …
Pour appuyer ses arguments, elle nous fit même une démonstration “avant/après”.
Pour ma part, je n’ai pas vu la différence … pas plus que le responsable de fabrication, … ni le responsable qualité du site!!!
L’opératrice s’est alors justifiée en disant … qu’elle avait toujours fait comme ça (depuis 27 ans), qu’elle avait été formée comme ça (démentit par une collègue entrée le même jour qu’elle), que de toute façon ça ne changeait rien (de le faire) et que cela participait à la renommée du produit auprès du médecin et du patient …
Ne sommes-nous pas tous humains, moi le premier … ?
Alors, que doit-on retenir de cet exercice ?
- L’opératrice ne se rend pas compte qu’elle fait de la surqualité. Pour preuve, il n’y a pas plus de retours client concernant les sachets de ses collègues que les siens
- Elle ne sait pas ce qui est qualitativement correct ou non. Le “standard” n’existe pas. Elle estime donc de façon totalement arbitraire et subjective le jeu nécessaire à l’utilisation du produit (en imaginant le médecin et le patient)
- Plus dérangeant, le responsable qualité n’est pas capable de renseigner les opératrices sur cette question
- Pour compenser le travail qu’elle fournit en plus, l’opératrice doit accélérer sa cadence, donc se fatigue davantage et risque de négliger certains aspects de la qualité … ce qui est un comble pour de la surqualité!!!
- Par ailleurs, si elle n’arrive pas à compenser la cadence, elle pénalise les délais de l’entreprise et apporte un surcroit de travail à ses collègues (qui viennent l’aider lorsqu’elle n’a pas fini).
- Plus critique, il ne lui est pas venu à l’esprit qu’un petit copeau de plastique ou de métal résiduel puisse être injecté dans le corps du patient … ce qui, pour une “Rolls du cathéter”, est aussi un comble. A cette idée, l’opératrice fut toute décontenancée … elle n’y avait jamais songé !!!
A ces arguments sont venus s'ajouter les faits suivants :
- l’entreprise perdait des parts de marché, car ses produits étaient trop chers
- leurs concurrents faisaient une qualité moindre et pourtant leur “piquaient” des clients (mais alors, n’est-ce pas nous qui faisons de la surqualité alors que les clients ne la demandent pas ???)
- l’usine était passée 10 ans auparavant à deux doigts de la délocalisation en Roumanie (non, la délocalisation, cela n’arrive pas qu’aux autres …) et elle avait finalement été vendue à un groupe industriel familial français; OUF !!!
Sur ce coup-là, nous avons fait du “bon boulot”
Quatre opératrices, le responsable de production et le responsable qualité ont pris conscience de tous ces infimes gaspillages qui sont “noyés” au sein de leurs processus de fabrication. Jour après jour, ils “plombent” sournoisement la qualité et la productivité de l’entreprise. D’autant qu’ils se retrouvent partout, en production comme dans les bureaux !!!
Ce jour-là le Lean a gagné quelques lettres de noblesse dans leur esprit …
Pour voir le troisième exemple : Faire et “refaire”, … c’est toujours du Muda !